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2016-02 New Noise Magazine (avec Julien Bécourt)
3)Shantidas, tu poursuis aussi un travail d'installation vidéo, qui m'évoque (de ce que j'ai pu en apercevoir) certaines recherches de Nam June Paik. Peux-tu nous en dire plus? 4)Quels sont les autres projets dans lesquels vous jouez/avez joué? SR : On a tous joué dans Diamatregon, même si c’était au départ, en 1997, mon projet black metal "one man band". Il m'arrive encore de jouer en solo avec mon projet sympho-noise : Shantidas. Je prépare d'ailleurs la sortie d'une triple cassette sur Amortout Productions : Symphonie n° 2. 5)Vous aviez au départ une approche très minimaliste, rêche et primitive du son - en particulier sur Descension et Finsternis, qui étaient clairement influencés par This Heat et Faust (l’album avec Tony Conrad en particulier, dont Finsternis était quasiment un « décalque »). Vous aviez alors un jeu très répétitif et abrupt, avec un son très mat, jouant davantage sur la tension et la retenue que sur le côté « épique », presque post-rock, d’Occult Rock ou de Voix. Ne pensez vous pas que la « virtuosité » et la complexité de vos deux derniers albums ne vous ont quelque peu éloigné de cet aspect plus décharné, presque no wave de votre musique? SR : Descension et Finsternis ont été composés et enregistrés à une période ou ne faisions pas beaucoup de concerts. Occult Rock et Voix sont des albums composés et joués live. L'approche est différente, mais pas l'intention. 6)A chaque nouvel album, votre musique s’éloigne un peu plus des canons du BM pour évoluer vers une sorte de doom-kraut progressif avec des structures à rallonge, plus proche de Acid Mothers Temple ou de Caspar Brötzmann Massaker, et même par moment de certains groupes prog italiens comme Jacula ou Goblin. Est-ce une dynamique consciente? SR : j'aurais du mal a dire lequel de nos albums sonne le plus Jacula, mais c'est chouette que tu penses à lui. 7)Vos morceaux sont construits sur de très amples mouvements, avec des ruptures de rythme et de tons constants. Quelle est la part d’improvisation? MC : Il n'y a pas, à proprement parler, d'improvisation dans Voix. L'album est constitué d'un seul morceau, divisé en six mouvements. Il est constitué de parties très verrouillées, très millimétrées d'un point de vue structurel et d'autres plus libres qui, si elles ne sont pas fixées par un nombre précis de mesures, sont guidés par des intentions et des thèmes très forts. C'est finalement une approche assez jazz, mais appliqué au rock. 8)Le son de Voix est plus découpé et moins massif que sur les précédents albums, on entend de plus en plus distinctement chaque instrument, avec des structures labyrinthiques, des lignes de basses chaloupées presque jazz-rock, un jeu de batterie bien plus véloce que par le passé et des chausse-trappes propres au rock progressif (comme sur occult rock II, en fait). Est-ce une rupture consciente? Cherchez-vous à vous éloigner délibérément de vos propres repères? MC : J'ai le sentiment, quand je réfléchis à ta question, que l'on ne cherche pas la rupture ou s'éloigner de quelque chose. C'est plutôt un mouvement d'approche. Voix est né d'une prise de conscience d'un travail possible sur le son, la façon dont on le génère, la façon dont on l'enregistre. Ce qui nous a poussé à redéfinir notre matériel (effets, amplis, peaux de batterie, cymbales) et à expérimenter de nouvelles méthodes pour jouer ensemble, s'écouter, se positionner sur scène ou dans une pièce. Affirmer plus encore la dimension purement vibratoire de notre musique. 9)Pouvez-vous expliquer ce parti-pris de ne pas donner de titres à vos morceaux? Envisagez-vous vos albums comme un seul et long morceau scindé en plusieurs parties? MC : Les deux albums que nous avons composé comme un seul morceau sont : Finsternis et Voix. 10)Le mixage semble être une étape cruciale de vos enregistrements. Pouvez-vous détailler ce processus? Comment articulez-vous l’aspect live des sessions d’enregistrement avec le travail de montage et de mixage MC : Crucial, c'est le mot ! Comme nous jouons et enregistrons dans les conditions du live, la question du mixage et du montage se pose pour nous bien avant le moment de l'enregistrement. . Donc comme nous sommes arrivées en studio, la structure du disque était posée, nous pouvions le jouer d'une traite. Nous avons enregistré l'album sur bande, sur du matériel analogique. Et comme une bande ne peut contenir que 30 minutes, nous avons fait des prises par faces (plusieurs versions de la face A et de la face B) que nous avons ensuite montées ensemble. Il n'y a pas beaucoup de points de montage dans l'album. Et nous n'avons que deux overdubs ; je te mets au défi de me dire où ! Le gros travail de studio a été en fait de définir la disposition des instruments les uns par rapport aux autres pour qu'ils sonnent ensemble et trouver la bonne place pour les micros. C'est qui a vraiment pris du temps. Le mixage a ensuite été long et minutieux, il s'agissait de rendre audible et naturel cette matière brute. Long processus. Quand je repense au studio, j'ai une sensation de douleur extatique. Il fallait en passer par là je suppose. 11)Vous utilisez certaines codifications hermétiques. Au-delà de la musique, avez-vous un concept sous-jacent en tête pour chaque album (comme pour Finsternis, qui était découpé selon les cinq étapes d’une éclipse)? Votre musique est-elle toujours orientée en amont par un élément réflexif - un diagramme, un symbole, une allégorie? Pourquoi le titre Voix? MC : Les concepts ne sont pas nécessairement des points de départ. C'est un jeu d'aller retours assez organique entre l'action, le jeu et la pensée. Les sons, les images, les idées se mélangent ensemble, s'influencent les uns les autres. Pour Voix, le mot est venu avant le sens et avant la musique. On avait envie de faire un album qui portait ce titre au moment de la composition d'Occult Rock. On savait que ça serait le suivant. Ce que ce mot impliquait on l'a compris au fil des années qui ont suivies. Mais si on réécoute nos premiers disques, on peut se rendre compte que les voix sont là, déjà, de façon plus subliminale peut être, dans les volutes de distorsions et les cymbales qui explosent. 12)Je ne peux pas m’empêcher d’associer l’artwork de Voix au travail de Tania Mouraud. Connaissez-vous son travail ou est-ce un hasard? Avez-vous des points de référents dans l’art contemporain? MC : Je ne connais pas du tout le travail de Tania Mouraud. La pochette de Voix a été peinte par Antoine, sous d'autres influences.... 13)Que mettez vous derrière la dénomination occult rock, qui était le titre de votre double album précédent? Eprouvez-vous toujours autant d’intérêt pour l’hermétisme et les rites initiatiques du Chaos Magick? La philosophie gnostique, le Kia, le chamanisme? AH : la dénomination occult rock est très littérale, ça signifie simplement que notre musique traite, à travers tous ces aspects des pouvoirs cachés du cosmos et de l'esprit, et qu'elle s'interprète avec des instruments classique du rock. Donc oui, Il y a à la base un intérêt pour l'ésotérisme, et nous sommes en quête. On peut dire que Aluk Todolo est notre outil ésotérique, construit par et pour nous, et que l'occult rock c'est de la musique enthéogène. 14)Etes-vous toujours impliqués dans la scène Black? Quid de Diamatregon? Quels sont les groupes BM qui vous ont le plus marqués? 15)Blacklodge, Blut aus Nord, Deathspell Omega, Peste Noire, Nehëmah, Otargos, Quintessence, Norman Shores… La scène BM française est assez fournie, malgré des distinctions idéologiques radicalement opposées les unes aux autres. Etes-vous proches de certains d’entre eux - musicalement, philosophiquement, humainement? 16)Vous avez tourné ces dernières années avec SunnO))) et vous avez sorti deux albums sur Ajna Offensive. Quel lien entretenez vous avec Stephen O’Malley qui vie à Paris? MC : Oui on s'entend bien. On s'est rencontré à l'époque de Finsternis et depuis on fait pas mal de choses en semble. Des concerts avec SunnO))) ou avec son projet solo. On a partagé un local aussi. On a beaucoup de points de vues communs sur la musique, sur le son. C'est facile d'être ensemble sur la route dans un camion, tout simplement. 17)Vous avez beaucoup tourné à l’étranger et vous allez jouer prochainement à Moscou. Quels sont les pays qui vous semblent être le plus réceptif à votre musique? Où avez-vous préféré jouer? SR : Dernièrement, nous avons joué à Istanbul en Turquie, c’était fantastique. 18)Shantidas, tu as organisé pas mal de concerts underground avec Amortout Productions, dont un qui t’a valu pas mal de tracas d'après ce que tu me disais… Peux-tu nous parler de cette activité contingente au label? SR: Je n'en vois pas un en particulier qui m'ait valu plus de tracas que les autres. C'est à chaque fois une nouvelle histoire, avec sa dose de stress. Par contre je ne lâche pas le morceau, donc quand une porte se ferme, je me vois obligé d'en défoncer d'autres. 19)Vous avez enregistré un split album avec Der Blutharsch. Quels liens entretenez vous avec la scène neofolk? Comment expliquez-vous que la plupart de ces groupes post-industriels soient de plus en plus versés dans un acid-folk psychédélique hérité des 60/70s? SR: Nous n'avons pas spécialement de lien avec la scène neofolk. Avec Der Blutharsch, nous avons fait une collaboration, chacun de groupe a apporté deux squelettes de morceaux que l'autre groupe a complété. Nous nous étions rencontré lors du concert de Der Blutharsh au Zèbre de Belleville qu'on avait organisé avec Amortout Productions. 20)Vous semblez très attachés à la dimension archaïque de la transe et aux rituels ancestraux qui s'y rapportent. Pensez-vous qu’un groupe de rock, par définition ancré dans un passé proche, puisse véritablement induire de tels états de conscience modifiés? Pratiquez-vous la méditation ou des rituels qui vous sont propres en dehors de la musique? MC : Un seul mot, un seul son peut faire basculer l'esprit dans un état de conscience modifiée. C'est une conjonction autant qu'une conjuration. Et bien que nous jouions du rock, sur du matériel plus ou moins récent, je crois que cette musique pourrait se manifester sous d'autres formes : acoustique par exemple, à capella et avec des cailloux en guise de percussions. D'ailleurs des hommes cherchaient certainement les sensations et les expériences produite par ce type musique il y a 30000 ans. À la lumière vacillante d'une torche, dans l'écho des grottes, ils jouaient cette musique là, j'en suis persuadé. |