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Interview for NEW NOISE by Laurent Catala 1/ Cela faisait huit ans que vous n’aviez plus sorti de nouveau disque, malgré quelques concerts occasionnels en France (en particulier à l’Homme Sauvage 2022) et en Europe. Pourquoi un tel hiatus ? M : Suite à la sortie de Voix, nous avons beaucoup tourné, en Europe, aux US, en Russie, etc. On s'est vraiment concentré sur ces concerts et avons fait évoluer la musique de Voix sur scène. La composition de Lux s'est ébauchée assez tôt, autour de 2017, mais il nous a fallu du temps pour affiner le concept de l'album et le faire correspondre à son incarnation musicale. Les derniers concerts que nous avons fait depuis 2022, l'Homme Sauvage, la tournée avec Mütterlein, Rock in Bourlon, nous ont permis d'achever la composition de Lux. C'est toujours sur scène que s'écrit notre musique, face à un public. Et ça a été le cas pour Occult Rock comme pour Voix, nous jouons parfois longtemps un album sur scène avant de l'enregistrer en Studio. Après, c'est vrai qu'on est lent, mais dans un monde qui n'est qu’accélération je pense que c'est une vertu d'accepter et d'affirmer sa lenteur. 2/ Lux fait écho à la lumière, ce qui peut paraître un peu étrange pour un groupe largement ancré dans un univers sombre et occulte comme le vôtre, même si les habitués de vos concerts savent que la lumière y est fréquemment, conceptuellement et physiquement, exposée par le biais de cette ampoule lumineuse qui trône au centre de la scène, comme une sorte de frontman/chanteur manquant. M : C’est vrai, tu trouves ça étrange ? Tu sais on a fait un album qui s’appelle Voix alors qu’on est instrumental. Pour nous c’est très cohérent, même si ça semble toujours bizarre au premier abord… Les phases d’ombres et de lumières ont toujours été présentes dans nos concerts, mais l'ampoule qui accompagne nos concerts ne vient pas combler quelque chose, nous n'avons pas besoin de frontman et le chant ne nous a jamais manqué. L’ampoule est notre foyer, on se rassemble autour d’elle pour jouer. Et c’est aussi un point de fuite qui permet de faire oublier nos présences au spectateur, de le rendre réceptif à la musique seule. 3/ A l’écoute du disque, on est happé quasi immédiatement par la grande sensation de continuité temporelle des morceaux, qui donne l’impression d’un véritable enchaînement des trois titres par face (la musique du groupe est vraiment faite pour le format vinyle) et par cet art des contretemps (en particulier de la basse) qui laisse penser que les musiciens jouent trois solos qui parviennent à s’articuler comme par alchimie… M : Depuis Occult Rock et surtout Voix, j’ai toujours eu l’impression que nos trois instruments s’articulaient de cette façon les uns par rapport aux autres. C’est vrai qu’on a accentué cet aspect sur Lux. L’écriture est plus rigoureuse. Il y a moins de place pour l’improvisation et donc pour l’errance ou l’expression de l’ego. Si il y a une différence elle peut être là, pour ce disque, à chaque fois qu’une question d’harmonie ou de structure ou de matière sonore s’est posée. On n’y répondait pas au nom de notre goût personnel, mais au nom de l'œuvre elle - même. Ah, tu as bien ressenti la chose sur la continuité : les deux faces du vinyle se répondent en symétrie, et tous les morceaux sont liés entre eux par une architecture rythmique sous-jacente. Du premier au dernier instant, tout est synchronisé, en interaction. 4/ C’est bien entendu une affaire de sensation, mais je trouve la face A plus roulante, plus « motorik » (pour employer une terminologie issue du krautrock) et la face b plus "ambient", plus noire et déstructurée. La complémentarité me semble en tout cas un élément essentiel entre les deux faces, non ? M : C'est un album clairement motorik et kraut, chaque morceau est fondé sur une cellule rythmique, un lockgroove immuable. Dans les contours on peut ressentir aussi des motifs propres aux ragas indien ou à l'afro-beat. Moi de l’intérieur je n’ai pas la même impression que toi sur les deux faces ahah, je trouve mes parties de basse plus hystériques et fractal sur la face B que la A. Pour moi, l'ouverture du disque est beaucoup plus liquide, fluide. C’est vraiment une impression de jeu, je suis sur que Shantidas et Antoine ont encore une autre impression. 5/ Vous avez enregistré dans un nouveau studio pour cet album et j’ai l’impression que ça s’est plutôt bien passé, non ? M : Le studio Kerwax nous avait été conseillé depuis quelques années, par Marion de Mütterlein, entre autres, qui y a fait tous ses disques. Ce studio a été conçu pour enregistrer des groupes live. Il y a dans ce studio un rapport au son et à la méthode d'enregistrement dont on avait envie. C’est de ce temps et de l'intensité de ce mode d’enregistrement, en live, tous dans la même pièce, sur bande, dont on avait besoin pour Lux. Et oui on a pris le temps de faire des overdubs, certains assez classiques de renforts de guitares sur certaines parties et d’autres plus expérimentaux. Par exemple, nous avons installé dans le studio un dispositif de guitares aux accordages spécifiques réagissant aux vibrations par les cordes sympathiques. On a donc une trame de drones harmoniques sur toute la durée du disque qui est mixé de façon subliminale. Et dans le genre subliminal, et il y a aussi des touches de glockenspiel. Pour l’anecdote, c’est un instrument qui appartenait à Magma dans les 70’s. Klaus Blasquiz a donné une partie de sa collection d’instruments et d’équipement au Kerwax. C’était fou pour nous de pouvoir utiliser cet instrument sur le disque ! 6/ Sur un plan technique, l’album a été réalisé de façon très méticuleuse, avec un choix de conception en full analogique AAA. Quelle importance cela revêt-il pour vous à une époque où la plupart des groupes passent par le fichier numérique ? M : Il y a plusieurs raisons à ce choix du tout analogue. Déjà il y a le rapport au son, à la matière sonore que rend tangible la bande magnétique, une forme de grain de souplesse auquel on est très attaché. Et puis c'est une façon de d'enregistrer qui correspond à notre musique, on a toujours enregistré en conditions live, tous les 3 dans une pièce, chaque morceau est joué d'une traite. Faire ça sur bande nous fait nous concentrer et ressentir l'instant de la prise de façon très intense. On fait 2 ou 3 prises par morceau maximum et on efface au fur et mesure celles qu'on ne considère pas ultime . Et c'est la même chose pour le mix, une ou deux passe par morceau. C'est très stressant mais c’est vivant ! Le grand jeu ne se joue qu'une fois. Et puis on voulait qu'il n'y ait aucune traduction numérique, aucune réduction du geste musical par des 0 et des 1. La vie ne peut pas être encodée, c'est une altération du réel. Et Lux est un geste de résistance contre ce qui semble être un état de fait. Pour nous c'est une lutte d'accomplir ça. On a peu de moyens, la technologie analogique étant de plus en plus rare, elle est chère et le moindre problème technique prend des proportions gigantesques. Mais nous nous devions d'accomplir ce geste en accord avec ce qu'est notre groupe et cet album en particulier. Au final Lux est un album archaïque, austère même, assez éloigné dans sa sonorité de ce qu'est le rock ou le metal moderne. Et ça nous convient très bien. 7/ Pour remonter plus loin en amont, comment composez-vous, pour ce disque en particulier, mais aussi pour les précédents ? M : Nos premiers disques et notamment Descension et Finsternis sont des sculptures musicales basées sur des longues sessions structurées au montage, la composition c’est le collage et la manipulation de parties disparates. Voix et Occult Rock sont nés d'improvisations, la structure du disque s’écrivait au fur et mesure de la recherche. Là c'est vraiment de la composition collective. Pour Lux, Antoine nous a proposé une architecture rythmique, écrite et rigide. Les signes, ces alternances de points sur la pochette, sont les notations rythmiques des morceaux. On a commencé à travailler le disque avec ça. 8/ Cette signalétique graphique rejoint évidemment l’importance que vous accordez dans votre travail à l’artwork qui est une nouvelle fois très soigné sur l'album, avec ses multiples sous-pochettes. Comment a-t-il été conçu cette fois-ci ? Depuis Voix on est dans une démarche iconoclaste. Il n’y a pas d’illustration : 9/ Toute cette approche conceptuelle, stylistique (tant au plan de la musique que de l’artwork) renvoie directement à l’histoire du groupe et à son fonctionnement particulier, avec deux musiciens vivant à Paris et le troisième vivant à Chambéry. Comment peut-on créer une musique avant autant d’osmose musicale, malgré la distance, et tout en ayant des projets musicaux solos à caser également ? M : C'est compliqué ! On organise plusieurs sessions par an, et on concentre sur quelques jours à chaque fois. Ce qui était difficile en période de composition c'est de sentir peser la pression de devoir être efficace dès qu’on se retrouve, alors que pour créer, on a besoin d'errance, de moments de vide qui deviennent efficace que si on leur laisse tout leur temps. Je t’avoue, c’est d’autant plus dur que l’on ne joue pas du 4/4 couplet/refrain/couplet. Et oui, on a tous des projets parallèles. Là, au contraire, le fait de travailler avec Aluk Todolo par session nous laisse du temps pour cela. Antoine a un groupe de rock/blues, bien tordu quand même, à Chambéry : Papa. Shantidas joue sous son propre nom et moi en solo avec Inselberg. D'ailleurs avec Shantidas et Inselberg, nous avons sorti chacun un LP solo cette année. 10/ Vous avez longtemps joué ces dernières années avec cette étiquette « occult rock », même si vous puisez vos racines dans le black metal des années 90/début 2000... Quel regard général avez-vous gardé sur la scène des musiques extrêmes, et plus particulièrement sur la scène black-metal ? M : Depuis le premier flyer de notre premier concert, nous avons toujours revendiqué l'appellation d'Occult Rock. Nous avons fondé le groupe en rupture avec l'esthétique metal/black metal, en mettant de côté les riffs, le chant. L'Occult Rock pour nous c'est l'utilisation de instruments traditionnels du rock, guitare – basse – batterie, au service d'une musique basée sur des doctrines ésotériques et magiques, le but ultime étant l'élévation spirituelle, de l'auditeur comme celles des musiciens. Ça à l'air très pompeux comme ça mais c'est sincère. Moi je le vis comme une quête spirituelle… même si à la fin on peut juste se dire that’s only rock n' roll. Le black metal, je ne m'y intéresse pas plus que ça, en soit. Le style de musique n'est pas ce qui fait que j'accroche à un groupe ou non. Mais si on parle de black metal, ce qui m'a marqué ces derniers temps, ce sont des groupes comme Spirit Possession et Exhumation (qui vient d'Indonésie), ça arrache la tête et c’est très sincère, très pur dans la démarche. Et sinon The Exorzist III, le nouveau groupe de Drew St Ivany qui jouait dans Laddio Bolocko et The Psychic Paramount, grande influence pour nous trois, le meilleur du rock. Et puis il y a Lassolas, alors eux je ne sais ce que c'est comme style mais ils sont géniaux ! sur scène comme sur k7. 11/ question bonus : À quoi faut-il s’attendre prochainement de la part du groupe : tournée, EP/single complémentaire à paraître, autres types de collaborations ? M : Pas de single bien sûr, ça nous paraît insensé de mettre en avant un titre plutôt qu'un autre. Par contre des tournées oui, des festivals fin 2024 et on reprend la route en 2025. Et comme nous célébrons nos 20 ans cette année, nous avons sorti une cassette rétrospective appelée Rocking the occult qui ne sera disponible qu'à nos concerts, ou par des voies secrètes.
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